La campagne s’éveille doucement. Le coq a chanté il y a bien longtemps déjà. Maintenant, les oiseaux prennent le relais. J’aperçois une araignée qui se promène sur sa toile dressée devant l’imposte du grenier. Une de ses longues pattes balaye l’espace palpable ; peut-être tisse-t-elle d’autres ramifications à son logis et piège. Elle semble pleine d’assurance, tissant avec ses pattes avec une minutie exemplaire. Quelques temps auparavant, peu avant que la lumière fut claire à mes yeux, une mouche tournoyait dans le grenier, apparemment sans but, ou alors celui de faire du bruit, d’occuper ma conscience : pointe qui me tirerait d’un équilibre entre sommeil et veille, équilibre instable où les pensées ne se meuvent qu’à moitié, passent comme des nuages dans un ciel tourmenté.
Le faucheux continue son ouvrage pendant que j’allume une cigarette. Dehors, les chiens commencent à aboyer tandis que la population du village s’affaire aux derniers préparatifs d’une manifestation annuelle, le vide-grenier.
La fumée s’échappe du foyer de la cigarette, ondulant dans la pièce pour en remplir l’espace. Je tire une bouffée douce et amère et j’entend le papier crépiter. La cigarette prise tôt le matin a une saveur exquise, elle se mêle à l’esprit embrumé pour constituer une atmosphère calme, propice au silence et à la méditation. Sans doute serai-je muet une bonne partie de la journée.
Mes pensées oscillent entre deux aspirations : dormir encore un peu ou m’activer.
C’est dans ce genre d’état que l’on perçoit toute l’ampleur d’un commencement : hybride entre le non-être et l’être ; l’un des deux subsiste alors que l’autre a une destinée cruelle : attendre son heure, et que l’autre s’évapore, dans un sempiternel combat de titans.
J'aperçois à nouveau mon araignée arpentant les réseaux de sa toile : elle s’avance en cherchant des points d’appui sûrs. Est-elle aveugle ? ne peut-elle se guider que par les vibrations ? Je ne saurais le dire. Tout ce que je connais d’elle, c’est son existence.
Que celle-ci soit paisible ou cruelle, elle est en tous cas, éphémère, naturelle et animale ; délivrée de toute structure de pensée stupide et humaine, qui risquerait de l’assommer en la forçant à se poser la question de la moralité chaque fois qu’un insecte vient se prendre dans sa toile.
Je crois qu’elle est paisible. Et cruelle à la fois.