Je frappai, et entendis du bruit, comme un écho à cet appel lointain, provenant du fin fond de cette pièce ; un bruit diffus, mêlé à des pas qui semblaient s’approcher vers ce qui séparait mes yeux et ma main de ce qui allait peut-être venir se révéler à eux. J'attendis, et la clef se mit à danser fébrilement mais avec précision dans une serrure qui lui collait à la peau. Mais la porte resta là, figée, immobile sur ses gonds. La poignée ne pivota même pas. Pourtant, j’ai entendu le cliquetis typique de l’ouverture ; ou de la fermeture. Je me mis soudain à douter. Me serais-je trompé de porte ? Non, après tant de chemin parcouru dans ce couloir sinistre et orné de tableaux figeant pour le futur mes aventures passées, il n’y avait pas de doute possible : c’était bien cette porte. Chacun des tableaux semblait avoir été peint juste avant que ma flamme vagabonde ne vienne les atteindre. Ils étaient les seuls objets saufs de poussière et de toiles d’araignées, et leur matière était encore fraîche. De gauche à droite, des événements étaient figés, les tableaux de gauche évoquant les douloureux, ceux de droite les joyeux. Ils s’alternaient. Etrangement, le dernier tableau, sur le mur de gauche, n’était encore qu’une toile vierge. Cette virginité fit soudainement prendre au vide qui m’entourait une autre ampleur : j’étais seul dans ce couloir sans issue et éclairé d’un modeste chandelier que j’avais dû emporter avec moi, Je m’assis et allumai une cigarette.
Je fumai doucement, comme chaque fois que je veux faire le vide et rassembler mes idées. Je laissai chaque bouffée m’emplir les poumons, et tentai de tromper ainsi mon attente. Et pourtant j’attendais. J’avais fait le premier pas, j’avais fait une multitude de pas pour arriver jusqu'à cette embouchure ; et si je n’ouvrais pas cette porte, je devrais faire demi-tour, mais vite, car les bougies avaient déjà rempli la moitié de leur office.
Je me relevai, et décidai de frapper une seconde fois à la porte. Même cérémonial, même écho, mêmes entrechats de la clef dans la serrure : peut-être restait-il un tour, et si oui, dans quel sens ? Ou alors ce tour était-il là pour annuler l’autre, pour lui tordre le cou et affirmer un nouvel état des choses, un revirement profond de situation. Je saisis cette poignée impavide mais elle résista. Il y avait pourtant quelqu’un de l’autre côté de cette porte. Cet être ne viendrait-il pas m’aider, me secourir dans cette tentative, dans cette action que j’effectuais vers lui. Peut-être ne voulait-il pas m’ouvrir, tout simplement. Mais pourquoi m’avoir fait venir ? Pourquoi avoir dépêché un coursier pour finalement refuser de me rencontrer ? Pourquoi tout semblait prêt à m’accueillir, à n’accueillir que moi ? Peut-être avais-je au dernier moment commis une faute, en entrant, ou quand j’avais pris ce chandelier, mon seul compagnon dans ce couloir vide de lumière ? Peut-être n’aurais-je pas dû le prendre du tout, peut-être n’était-il pas pour moi. Peut-être y avait-il simplement un autre couloir, une autre porte. Quoiqu’il en fut, je me retrouvais là devant cette porte, seul après un long périple dans ce couloir, éclairé de ces chandelles volages et animé d’un espoir qui révélait sa nature de cire. Peut-être avais-je été leurré, peut-être finalement avais-je fait tout ce chemin pour rien. Je savais en pénétrant dans ce couloir que je devais avoir des intentions pures, mais toute ma vie je n’avais eu que cela.
Une porte n’est pourtant pas une fin en soi ; il y avait bien quelque chose derrière, ou quelqu’un. Malgré tout, je ne voyais aucune lumière filtrer par les interstices. Elle devait être hermétique et laisser aussi peu de chances à l’air qu’à la lumière. L’obscurité fondait sur moi d’ailleurs. Les flammes étaient fatiguées de danser seules et se rabougrissaient à grande vitesse. Un cercle de portes d’ombre se forma autour de moi, toutes plus hermétiques à l’air et à la lumière que la première. La sueur commença à couvrir mon corps tout entier et, dans un dernier élan de survie, pétrifié par la peur, je me mis à chercher le bois de cette porte insensible, de cette frontière infranchissable. M’agrippant à elle de toutes mes forces, je reconnus la nature de ce bois : c’était du sapin...