Si loin, si proche

A la fenêtre, je devinais une ombre ; c’était celle d’un homme, celui que j’aimais, ou que je n’osais aimer. Je passais juste dans un couloir mal éclairé, et pensais qu’il ne pouvait me voir. Il m’intriguait, me surprenait, m’interpellait. J’avais peine à comprendre l’intensité et la portée de son regard hybride, à l’aspect inconstant et parfois dérangeant : d’un jour sur l’autre, il pouvait changer de peau, d’une seconde à l’autre, son expression allait périr puis renaître métamorphosée, signe d’une mutation interne, démonstration d’une pensée aux multiples branches et ramifications. Son regard témoignait d’une vie intérieure au temps malicieux, à la durée furtive et capricieuse. Une sorte de complicité secrète et diffuse s’instaurait entre lui et moi, un lien impalpable, dont j’avais peine à cerner les contours mais dont l’existence et la fibre étaient franches et solides. Nous échangions peu de paroles, sinon celles de la banalité, mais il semblait y avoir quelque chose de plus, quelque chose d’indécelable entre lui et moi, un je ne sais quoi qui appelait à la découverte, à l’investigation.

Par certains aspects, il paraissait me ressembler ; un brin timide, un tantinet pudique, un peu indépendant et solitaire. Fort de sa vie, emprunt de sensations peu communes mais fortes et exaltées, je le comprenais, et lui aussi me comprenait. Dialogue sans mots, juste avec un jeu du regard, le courant passait, sans obstacles ni contraintes, sauf celles de la timidité et de la pudeur, d’un intimisme exacerbé et mystérieux.

Je le savais présent, alerte et désœuvré, mais moi-même je n’osais percer ce voile qui s’avérait dressé entre lui et moi. J’attendais plutôt qu’il le brise lui même, j’attendais qu’il fasse le premier pas vers moi. S’il ne le faisait pas, sans doute garderais-je éternellement son souvenir en moi, un souvenir idyllique, inabouti, mais grisant tout de même. Il voulait me comprendre, je le savais, et d’autres me l’avaient dit. Mais j’osais à peine l’aider, par peur de le décevoir, ou par peur de m’être trompée.